vendredi, février 03, 2006
Togo : Stephen Keshi en sursis source
L'entraîneur nigérian des « Eperviers » du Togo s'était donné trois à quatre ans pour bâtir une sélection compétitive. Mais les choses sont allées très vite. Trop vite pour Stephen Keshi, puisque après une campagne égyptienne complètement ratée, il n'accompagnera peut-être pas les « Eperviers » en Coupe du monde.
Epargné par les dures critiques qui s'étaient abattues sur son prédécesseur brésilien, Stephen Keshi, par sa diplomatie et son sens du dialogue, s'est imposé assez facilement au Togo et a pu ainsi travailler dans la sérénité. Ce qui ne fut jamais le cas du Brésilien Antonio Dumas à qui les médias togolais ont reproché en son temps, une absence de résultat, dénonçant à longueur de colonnes, son « arrogance notoire » et cette étonnante politique consistant à faire venir des footballeurs brésiliens pour les faire évoluer en équipe nationale togolaise après naturalisation.
Une fois le « colonisateur brésilien » parti, les autorités togolaises jetèrent leur dévolu sur Stephen Keshi. A Lomé, l'homme de la rue affirmait, juste avant la CAN, que c'est à l'ancien capitaine des « Super Eagles » que le « petit » Togo doit sa double présence à la CAN égyptienne et, bientôt, à la phase finale de la coupe du Monde, qui se joue cette année en Allemagne.
Carte blanche pour Keshi
Dès son arrivée à Lomé, Stephen Keshi écoute les uns et les autres, montrant sa volonté de faire d'une éventuelle qualification des « Eperviers », une affaire collective. En totale symbiose avec les joueurs. Aux instances dont on connaît la propension à donner des directives aux entraîneurs (surtout lorsqu'ils ne sont pas des Européens), il tient un discours clair ; à savoir, qu'il veut être le seul maître à bord pour organiser les entraînements, décider des stages et composer l'équipe. Là, les autorités togolaises lui donnent carte blanche en lui demandant de réussir la mission qui lui était confiée : « fabriquer » une bonne sélection togolaise.
Face aux « gros » de sa poule de qualification (Mali, Sénégal, Zambie), le Togo a montré un visage séduisant. Chaque match est joué comme un match de coupe. Chaque confrontation confirme la détermination des « Eperviers » là où de nombreux observateurs – appelant de leurs vœux la fin du miracle togolais – affirmaient que c'était trop beau pour durer. Il était clair – vu le football pratiqué par les « Keshi boys » – que si le Togo sortait de la compétition comme en 2004, ce serait forcément la tête haute. Efficaces à domicile, Emmanuel Adebayor et ses camarades inquiètent les adversaires à l'extérieur. Ainsi, de matches en matches et de bons résultats en bons résultats, les sceptiques ont fini par réaliser qu'il y avait bien du solide du côté de Lomé. Le bilan togolais est excellent et Emmanuel Adebayor s'affiche avec 11 buts marqués.
La force de frappe d'Adebayor
Stephen Keshi a aussi misé sur les professionnels togolais évoluant en France et en Allemagne notamment. Puis, il a mis l'accent sur la tactique qui est souvent le maillon faible du jeu spontané et débridé des Africains. Le football d'aujourd'hui n'est plus seulement une histoire d'instinct. Il faut savoir se placer, répondre aux attaques et aux stratégies du jeu de l'adversaire. Le technicien nigérian va donc mettre en place un système de placement qui s'appuie sur une triple stratégie: muscler la défense et placer, au milieu, les joueurs qui sont à la fois des récupérateurs infatigables et des rampes de lancement pour une attaque au sein de laquelle le géant Emmanuel Adebayor apparaît comme une incontournable force de frappe.
Capitaine de la sélection nigériane à la phase finale de la coupe du monde de 1994 aux États-Unis, Stephen Keshi a joué, en Europe, dans le prestigieux club belge d'Anderlecht, puis au Racing Club de Strasbourg en France. Une fois sa carrière de footballeur professionnel terminée, il a opté pour le métier d'entraîneur en passant ses diplômes d'entraîneur aux Pays-Bas en même temps que le Zambien Kalusha Bwalya. Lors de la phase finale de la Coupe d'Afrique des Nations 2000 au Mali, il était l'adjoint de l'entraîneur nigérian des « Super Eagles », Shuaibou Amodu.
Le début du feuilleton
Aujourd'hui âgé de 43 ans, Stephen Keshi a réussi à faire du Togo une équipe accrocheuse, déterminée et imprévisible. Quand on se souvient de la façon dont les sélections du Sénégal ou du Congo ont été piégées, on se disait que les Yao Junior Senaya, Adekamni Olufade, Eric Akoto, Kossi Agassa et le très médiatique Emmanuel Sheyi Adebayor allaient tout casser en Egypte. C'est le contraire qui s'est passé. Pour le Togo, les ennuis commencent dès le premier match contre les « Simbas » de la RD Congo. Ce jour-là, la surprise vient de l'absence d'Adebayor sur la liste du onze qui débute le match. Personne, auparavant, n'avait appris que la star était blessée, malade ou à court de condition physique. C'était le début du feuilleton.
Lors du match RDC – TOGO, Adebayor remplace Olufade à la 57e minute. Les supporters togolais respirent. Avec Emmanuel, il se passera forcément quelque chose. Mais la star va courir, sauter, se démener dans tous les sens sans jamais marquer, de son empreinte, une rencontre maîtrisée par d'étonnants Congolais, courts sur pattes mais véloces et organisés. Le Togo perd logiquement ce match, mais espère se ressaisir le 25 janvier face au Cameroun. Adebayor est titulaire contre les « Lions Indomptables » devenus, ce jour-là, intraitables en dominant une équipe togolaise de plus en méconnaissable (2 – 0). Emmanuel n'a toujours pas marqué et le Togo est en train de porter gravement atteinte à sa réputation de mondialiste. Pourtant, les autorités sportives togolaises s'étaient employées à recoller les morceaux entre Adebayor et l'entraîneur, d'une part, et, entre Adebayor et certains de ses partenaires irrités de le voir en super-vedette au verbe cinglant, d'autre part. D'ailleurs, les propos crus de l'ex-monégasque à l'endroit de Stephen Keshi ne contribuent guère à l'apaisement des esprits. Pour ne pas quitter la CAN par le hublot de la débâcle, les « Eperviers » se doivent de vaincre l'Angola. Ils vont encore perdre leur 3e et dernier match de poule (2 – 3), contraints, dès lors, de faire leurs valises.
Les critiques pleuvent
Il est notoriété publique que quand une équipe sombre, c'est l'entraîneur qui trinque. Une fois, la déconfiture bue jusqu'à la lie, les critiques s'abattent donc sur Stephen Keshi telle une tornade tropicale sur une terre devenue d'un coup stérile. Responsable de tous les maux, le Nigérian est accusé d'avoir laissé, au pays, d'excellents footballeurs tels que Sadou Tadjou, Ali Baba de l' «As Douane » ou le buteur Badarou de « L'Etoile Filante » de Lomé.
Stephen Keshi ne serait plus qu'un vulgaire « affairiste » qui aurait trouvé, au Togo, l'opportunité de faire fructifier son business. Le Togo, dominé et humilié, aurait donc aussi été « trahi » par celui-là même qui s'était battu pour monter une sélection compétitive. Cette performance des « Eperviers » est même contestée par ceux qui ont aujourd'hui la dent dure pour dénoncer la « réputation surfaite » d'une équipe qui aurait – durant les matches éliminatoires CAN/Coupe du monde – volé de baraka en baraka. La qualification pour la CAN 2006 et la Coupe du monde des « Eperviers » serait ainsi due à la chance et à l'étonnante réussite d'Emmanuel Adebayor.
Déballage public
Jeune joueur talentueux, Emmanuel Adebayor est resté fidèle à ce trait de caractère qu'on lui connaissait depuis l'adolescence : un garçon impétueux qui rue facilement dans les brancards, lâche les mots et les phrases comme certains lâchent des flèches empoisonnées. Dans l'affaire qui l'a opposé au sélectionneur nigérian, il ne semble pas avoir perçu la nécessité de sauver l'ambiance et la cohésion d'un groupe. Il s'est mis en avant pour dénoncer et désigner un coupable. Du coup, le linge togolais n'a pas été lavé en famille (après les matches du premier tour, par exemple), mais dans les médias friands de tels feuilletons. Si Emmanuel Adebayor a déclaré sur RFI qu'il ne se sentait plus une âme de compétiteur, parce qu'il était « moralement éteint », ses petits camarades, non plus, n'étaient plus spécialement motivés. « Qu'il s'en aille s'il veut ! », ont déclaré certains de ses partenaires, qui n'ont pas pu contenir leur exaspération. La fêlure due à l'accrochage Adebayor-Keshi venait d'atteindre l'édifice de toute la sélection. Dans ces conditions, le Togo pouvait-il se montrer un bon visage?
On constate à quel point l'ex « ami du peuple togolais », celui que le petit écran faisait rentrer dans les chaumières togolaises à l'heure du repas, est aujourd'hui traîné dans la boue du chemin, à l'issue d'un premier tour calamiteux en phase finale de la CAN 2006 en Egypte. Le Togo quitte ainsi cette phase finale sans avoir rien démontré : aucune victoire pour les « Eperviers » et aucun but marqué pour Emmanuel Adebayor. Dernier de son groupe avec la plus mauvaise différence de buts avec l'Afrique du sud. Comme on le dit, quand on a atteint le fond, il n'y a plus qu'à faire l'effort de remonter. Il reste aux « Eperviers » du Togo - avec ou sans Stephen Keshi – cinq petits mois pour se refaire un moral d'acier. Il s'agira, avant tout, de prouver aux téléspectateurs du monde entier que la CAN 2006 ne fut qu'un déplorable accident.
par Dave Wilson
Source RFI
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