S’il est des joueurs pour lesquels le mot fidélité a une réelle signification, le capitaine togolais Jean-Paul Abalo (31 ans le 26 juin prochain) en fait assurément parti. Chez lui, une carrière s’écrit avec deux chiffres : dix saisons passées à Amiens, 12 en sélection… A une époque où de nombreux joueurs multiplient les expériences, une telle trajectoire peut étonner : « Je suis un grand sentimental, a-t-il avoué dans un entretien exclusif avec FIFAworldcup.com. Je m’attache facilement. Si je me sens bien dans la ville dans laquelle j’évolue, je ne vois pas pourquoi j’irai voir ailleurs. »
Comme la plupart des jeunes africains, Abalo a découvert le football dans la rue et à l’école. Très bon élève, ses parents voyaient en lui l’un des futures grandes figures de l’administration togolaise. Lui ne rêvait déjà que de ballon rond : « J’aimais bien l’école mais je me sentais encore plus heureux avec un ballon au pied. Mon père me disait toujours : ‘As-tu déjà vu un footballeur construire une belle maison au Togo ?’ Il avait raison, c’était dangereux de tenter une carrière à l’époque. Alors je me cachais d’eux pour jouer. J’étais obligé de laisser mes chaussures chez un copain. Si mes parents les avaient vues, ils m’auraient tué (rires). » Pourtant très vite sa vie va basculer. En voyage en France – son premier hors d’Afrique – pour disputer un tournoi international Juniors avec la sélection du Togo, il est repéré et s’engage avec le petit club de Saint-Christophe, près de Châteauroux.
A 18 ans, il découvre la quatrième division française. « Mais mon père se fichait toujours pas mal du football. Il ne savait pas que j’avais arrêté les études. Quand je rentrais au Togo, je disais ‘Oui bien sûr j’ai de bonnes notes’. J’aimerais tant qu’il soit encore là pour voir ce que son fils a réussi dans le football… »
Amateur à Dunkerque
A peine deux saisons plus tard, sa carrière est définitivement lancée par un transfert en Picardie, dans les rangs du Sporting Club d’Amiens. C’est le début d’une longue et belle histoire avec ce club. « Je garderai toujours une petite place pour Amiens dans mon cœur. C’est un club qui m’a énormément apporté. Tout s’est toujours merveilleusement passé. » En dix saisons dans les rangs amiénois, Abalo a vécu le pire comme le meilleur. Le pire avec la descente en National en 2000, le meilleur comme cette finale de Coupe de France disputée l’année suivante. Une décennie entière à servir les mêmes couleurs, sans jamais succomber aux envies d’ailleurs : « Je me sentais bien à Amiens, pourquoi aurais-je du en partir ? J’avais des contacts parfois. Même l’année de la descente en National j’ai reçu des offres venues du Golfe persique. Mais il n’y a pas que l’argent dans la vie. En tout cas, c’est ma vision. »
Il finit pourtant par y être contraint. Alors qu’il mène de mains de maîtres les destinées de la sélection togolaise dans les éliminatoires d’Allemagne 2006, les dirigeants picards décident de ne pas prolonger son contrat. A l’été 2005, Jean-Paul se retrouve donc sans club. C’est le début de la galère, qu’il vit pourtant avec philosophie : « Si j’ai du quitter Amiens, c’est la volonté de Dieu. Je ne garde aucune rancœur envers qui que ce soit. C’est juste la manière qui m’a déplu… Mais j’ai finalement pris mon courage à deux mains et tout fait pour continuer à jouer. » Il passe tout le mois d’août à frapper aux portes, participe à un stage organisé pour les footballeurs chômeurs, conclut des essais avec le GB Anvers ou le FC Bruxelles… Sans résultat.
Alors que beaucoup de professionnels n’auraient pas accepté une telle ‘régression’, Jean-Paul Abalo est reclassé amateur et rejoint au mois de septembre les rangs de Dunkerque (CFA). « Il n’y a aucune honte à cela ! Ce qui m’importait, c’était de jouer. Peu importe si je restais chômeur et que je ne gagnais plus ma vie. » Avec toute l’humilité qui le caractérise, il ne rechigne jamais. Même lorsque son entraîneur lui demande de rejoindre l’équipe réserve (en Promotion d’Honneur) pour aider les jeunes. Jean-Paul ne s’en offusque pas, ce qu’il veut c’est jouer. « Il n’y a jamais de petit match. Je revenais d’un essai en Corée et n’étais pas dans une forme excellente. Et puis personne ne m’a forcé, l’entraîneur me l’a juste proposé. » Ainsi, il maintient sa forme et reste compétitif dans les éliminatoires de la Zone africaine.
La qualification en poche, il se souvient de la liesse qui avait suivi le retour à Lomé des Eperviers, qualifiés pour la première fois de leur histoire pour une Coupe du Monde de la FIFA : « Notre dernier match au Congo a été si difficile (3-2) qu’au coup de sifflet final nous ne réalisions pas. Nous étions tous en pleurs sur la pelouse. Il y avait de la joie, de la souffrance, de la peur dans ces larmes… Et ce n’est que quand notre avion a atterri à Lomé que nous avons compris la portée de notre victoire. Jamais une telle foule n’avait été encore rassemblée au Togo. Ça reste un moment inoubliable. »
« Je nous sais capables d’exploits »
Pourtant la joie sera de courte durée. « Entre notre qualification et le début de la Coupe d’Afrique des Nations il y a quoi ? A peine quatre mois ? Et pourtant cela a suffi à tout détruire. La qualification en poche certains se pensaient déjà au sommet. Pourtant c’est bien là qu’il fallait commencer. Nous n’avons eu aucune préparation. Comme notre groupe est jeune, beaucoup de joueurs ont eu du mal à gérer la pression et ont failli. Après le premier match manqué, c’est l’engrenage. » Et Stephen Keshi, l’ex-sélectionneur national, d’en subir les conséquences : « Stephen nous a beaucoup apporté. Il nous a souvent protégés des pressions. Ça m’a fait mal de le voir partir mais c’est le football… Ce qui fait le plus mal, c’est de se dire que nous sommes responsables. »
Irréprochable dans son rôle de capitaine, et encore plus dans celui de patron de la défense – « Certains joueurs de la sélection critiquaient ma présence alors que je n’avais pas de club. J’ai mis un point d’honneur à leur donner tort » –, Abalo tape alors une nouvelle fois dans l’œil des recruteurs lors de cette CAN 2006. Cette fois c’est l’étranger et l’Apoel Nicosie qui lui fait les yeux doux. Mais pour un fidèle comme lui, la décision n’est pas facile à prendre : « Je remercie très chaleureusement Dunkerque qui m’a tendu la main à un moment où personne ne voulait plus le faire. S’il n’y avait pas eu la Coupe du Monde en fin de saison, je serais resté dans le Nord. Mais j’avais besoin de jouer à un niveau plus élevé. » Il signe donc en février dans le club chypriote.
« Je suis rentré de la CAN épuisé nerveusement. Il m’a fallu un certain temps pour m’adapter et retrouver un niveau correct. Mais depuis trois matches je suis titulaire. Nous sommes premiers du championnat, qualifiés en demi-finales de la Coupe. Je suis vraiment très heureux d’être ici. »
Et voici à nouveau Jean-Paul Abalo fin prêt pour aborder cette première Coupe du Monde de la FIFA de l’histoire du Togo : « Cela va être très difficile mais je sais notre équipe capable d’exploits. Si la France est largement favorite de notre groupe, je nous vois à égalité avec la Corée et la Suisse. » Mais dès qu’un brin d’excitation l’emporte, son humilité rejaillit très vite : « Avec le nouveau sélectionneur nous repartons à zéro. Je me prépare en conséquence mais je ne sais pas si je ferai partie de la liste des 23… » Seul lui semble en douter.
mardi, avril 25, 2006
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